[ Interview ] Constance, responsable logistique et opérations dans la course au large
Aujourd’hui nous rencontrons Constance Pierre, intervenante au sein de plusieurs équipes de course au large. Elle nous livre sa vision de la préparation, de l’entretien et de l’organisation pour naviguer – vu de l’intérieur. Beaucoup de ses constats s’appliquent aussi bien à la plaisance qu’à la régate.
Ready4Sea : Constance, tu travailles depuis une dizaine d’années dans les rouages de la régateCourse de bateaux, le plus souvent à voile. et de la course au large. Peux-tu nous dire ce qui te plaît dans ce secteur ?
Constance Pierre : Je travaille effectivement dans le monde de la course au large, mais j’ai commencé dans la logistique sur le circuit des Extreme Sailing Series, en étant basée à l’Ile de Wight. Mon métier me permet de travailler tout le temps près de l’eau. C’est un milieu où l’on peut constamment concilier plaisir, émerveillement et vie professionnelle. Tous, les coureurs évidemment, mais aussi tous ceux qui travaillent dans l’ombre, partagent l’amour de l’océan. Cela rapproche les intervenants, unis par cette passion pour l’eau.
R4S : Tu as organisé le soutien logistique d’événements comme le Tour Voile, la transat anglaise, la transat AG2R ou la Solitaire du Figaro, et d’écuries comme Spindrift et Use It Again. A ton sens, quelle est l’importance d’une bonne organisation pour réussir un projet nautique ?
CP : Pour moi c’est clé. On ne peut pas s’inventer navigateur au large. On ne peut pas s’improviser plaisancier en un claquement de doigts. Tout nécessite de mettre en place une organisation, petite ou grande. Et au final, naviguer se mérite.
Prenons l’exemple de Clarisse Crémer, qui ne venait absolument pas du monde de la course au large. Si elle a pu arriver dans le circuit Imoca, c’est avant tout parce qu’elle a été capable d’organiser son projet.
Mais même à l’échelle de chacun de nous, il me semble illusoire d’imaginer naviguer sans prévoir, sans coordonner et sans se structurer un minimum.
R4S : Peux-tu nous parler de la façon dont tu t’organises et des outils que tu utilises pour ce faire ?
CP : Avant tout, dans mon métier, ce sont beaucoup de joblists, de checklists. Ca va d’outils relativement simples comme des fichiers Excel à des outils beaucoup plus complexes comme Wunderlist, des Gantt très développés, ou encore Asana.
Mes listes sont relativement peu évolutives, elles reprennent souvent les mêmes tâches, avec des joblists à effectuer à chaque étape. Je suis aussi une inconditionnelle du tri d’email. En fait la clé pour bien faire mon travail c’est d’être ultra carrée. Je numérise et j’archive tout pour pouvoir retrouver n’importe quoi par la suite. Il faut de la rigueur dans le rangement, afin de pouvoir répondre aux questions qui se sont déjà posées.
C’est pour cette raison que je faisais partie de la cellule opérationnelle de crise chez Spindrift. C’est aussi ça qui m’a permis d’organiser le sauvetage de Romain Pilliard en Patagonie. Il a fallu trouver au pied levé deux techniciens préparateurs français qui ont mené le chantier à Ushuaïa [NDLR : On connaît l’endroit, c’est le bout du monde !].
Dans le milieu, on a très peu la réunionite, et c’est une bonne chose. Mais en revanche on échange beaucoup de savoir-faire, d’expériences passées – et si cela n’est pas documenté, alors cela demande beaucoup plus de travail. Évidemment, cela demande aussi d’être intelligent relationnellement, parce qu’on se donne beaucoup de tuyaux, et on aura beaucoup plus tendance à aider quelqu’un qui ne nous a pas envoyé balader dans le passé.
R4S : Tu as, je crois comprendre, de la famille qui navigue au long cours. Peux-tu nous parler de leur projet ?
CP : En fait, c’est d’abord un historique familial. Je suis petite fille d’un capitaine de marine marchande au long cours, et de l’autre côté d’un grand-père sous-marinier !
J’ai grandi à Brest et j’ai navigué pendant toute mon enfance. C’était à bord que nous passions nos vacances et nos moments de détente.
Ma grande sœur Margot et sa famille sont partis en bateau en septembre dernier pour 2 ans d’aventures en bateau. Après deux ans de travaux, ils ont appareillé le 12 septembre de Locmiquélic pour deux ans de voyage. Ils naviguent à bord d’un 40 pieds baptisé Vagabond, et ont déjà effectué la transat vers les Antilles. Désormais c’est l’envie d’aller vers le Pacifique qui les anime…
R4S : Et que sais-tu de la dimension que prennent les travaux et l’entretien pendant leur voyage ? Comment s’organisent-ils ?
CP : Alors je n’ai pas tous les détails. Mais pour leurs travaux, ils ont dû constituer un énorme Google Doc, une sorte d’échéancier avec un beau rétroplanning. Je suppose qu’ils continuent à l’utiliser en route.
Quelles sont, selon toi, et toujours concernant l’entretien des bateaux, les différences et les points communs entre la plaisance et la course au large ?
CP : Il y a finalement beaucoup de choses communes. Evidemment, la course au large suppose d’être à la pointe de l’innovation et de la technologie, ce qui n’est pas une nécessité en plaisance. Par exemple, les voiles en fibres exotiques ou le carbone partout restent spécifiques aux régatiers.
Mais sinon, tout se recoupe, car ce sont les mêmes familles d’équipements. Il faut un gréementL'ensemble des espars (mâts, bômes, vergues), des câbles et des cordages nécessaires à la tenue et à la manœuvre des voiles., une coque, une navigation électronique embarquée, un pack sécu. Tout cela demande un suivi pour être utilisable le moment venu. Et puis il y a aussi la vie à bord et l’avitaillement, qui sont des sujets loin d’être négligeables en course autant qu’en plaisance, bien au contraire !
R4S : Que penses-tu de l’idée de proposer une appli qui aide les plaisanciers à mieux entretenir leur bateau ?
CP : C’est une super idée qui peut énormément aider les plaisanciers à profiter de leur objectif, naviguer ! Et ce sans pour autant être détachés du suivi. Ils continueront à être les coordinateurs, mais en s’allégeant la tête et en évitant les mauvaises surprises. Il y a un véritable enjeu à être bien organisé et ordonné pour réussir à naviguer sans souci !
Je trouve que c’est aussi une très bonne chose pour les différents intervenants du nautisme. Ils pourront faire leur travail de façon bien plus structurée. Aujourd’hui ils doivent souvent improviser en allant de surprise en surprise, sans connaître l’historique, sans comprendre ce qui a été fait, ni pourquoi. Au contraire, je les imagine bien prendre en charge une réparation avec une fiche bateau précise, qui leur fait gagner un temps précieux et qui leur permet d’anticiper et de préparer leurs interventions. Finalement c’est une excellente nouvelle aussi pour tous les prestataires.