[ Interview Spécial Rhum ] Préparer un multi de course au large, avec Robin

Par Nicolas

Les compétiteurs de la Route du Rhum sont sur le point de rallier Saint-Malo pour le départ qui sera donné le 6 novembre. Nous en avons profité pour rendre visite à Robin Salmon, “boat captain” dans l’équipe Leyton. Son rôle est de coordonner toute la préparation technique du trimaran Ocean Fifty, qui sera skippé par Sam Goodchild. Il nous donne un aperçu de ce qui se trame dans les coulisses d’un tel projet et évoque avec nous la stratégie d’organisation pour être performant.

Ready4Sea : Robin, bonjour et merci de nous recevoir ici à Lorient, sur ce beau multicoque. Parle-nous un peu de ton parcours et de ton rôle dans l’équipe.

Robin Salmon : Je connais le volet sportif de la compétition pour être passé par la classe Mini. Et côté technique je viens plutôt du monde des cordages, avec tout ce qui est gréement et matelotage.

Le bateau sur lequel nous sommes est donc un trimaran de 50 pieds. C’est une classe un peu plus mesurée que celle des Ultim. L’utilisation du carbone, par exemple, est très encadrée, si bien que la moitié du bateau reste à base de fibre de verre.

Charge à notre équipe de le préparer au maximum pour qu’il puisse être aussi performant que possible. Et aujourd’hui je suis un peu l’organisateur en chef pour tout ce volet technique du projet Leyton. C’est ça qu’on désigne sous l’appellation “boat captain”.

Robin est le “boat captain” de l’équipe Leyton.

R4S : Comment êtes-vous organisés pour faire toute cette préparation technique ?

RS : La préparation c’est une équipe permanente qui est sur le bateau. Elle fait plein de tâches, mais elle ne peut pas tout faire. Alors on fait intervenir plein de monde, des spécialistes, qui viennent faire un nombre incalculable de tâches. Que ce soit en électricité, par exemple pour les winchs, ou une boite de gréement pour les haubans, ou encore un sous-traitant de matériaux composite pour les tubes en carbone.

Et nous, il faut absolument que l’on gère bien les échéances, parce que ce n’est pas le sous-traitant qui va nous rappeler pour nous dire “Au fait, tu as oublié de faire ton check moteur il y a deux mois.” A nous d’avoir notre liste, souvent c’est un tableau Excel, et on doit se programmer une alarme pour ne pas oublier. Bref, à nous d’être bien organisés.

R4S : En course au large, vous avez donc la compétence et le savoir-faire, mais vous arrive-t-il malgré tout d’être pris au dépourvu ?

RS : Même en nous y prenant bien, il nous arrive d’avoir des révisions ou des interventions à faire en dernière minute. Heureusement, on a de la chance, comme ce sont des bateaux de course, les sous-traitants sont hyper-répondants et ils interviennent rapidement. Mais on a peu de marge sur le planning et ça peut vite mettre le bazar.

On a mis en place des outils, mais ce serait pratique si l’on pouvait être notifié trois semaines en amont, parce que ça permettrait de mieux anticiper. Et ça s’applique pour tout type de bateau, pas seulement en course au large. En plaisance, pour un bateau de croisière, il n’y a évidemment pas d’équipe pour gérer ça. Alors même s’il n’y a pas d’objectif de performance, la question de la maintenance préventive est tout aussi pertinente, ne serait-ce que pour ne pas rester coincé au port à cause d’une panne.

Le trimaran Leyton est construit pour moitié en fibre de verre et pour moitié en carbone. Il prendra le départ de la prochaine Route du Rhum dans la classe Ocean Fifty.

R4S : Donc le souci principal, en course au large, c’est vraiment le timing et l’anticipation ?

RS : Oui, et d’avoir les bons outils pour réussir à anticiper. Je pars du principe que si tu dois créer un document Excel, l’adapter pour qu’il soit utilisable, etc. ça peut prendre beaucoup de temps. Avec un organisateur de tâches, c’est déjà mieux. Tu crées tes tâches, une échéance et une priorité.

Dans l’équipe technique, on peut monter jusqu’à 10 personnes dans la phase de chantier et ça permet à chacun de savoir ce qu’il doit faire. L’inconvénient, c’est que c’est à moi dans chaque domaine, de savoir, de prévoir, de me dire : “Il faut faire ci, il faut faire ça, et ça aussi…” Evidemment mon outil ne peut pas savoir à l’avance le plan d’entretien de telle ou telle pièce ou équipement, et du coup je dois tout rentrer dedans.

R4S : Et si l’on refait maintenant le parallèle avec le nautisme hors compétition ? Les difficultés sont-elles les mêmes ?

RS : Eh bien pour un plaisancier, non seulement il faudrait qu’il puisse se faire rappeler sa révision moteur ou sa vérification des voiles au moment voulu, sans avoir à s’en soucier et sans risque d’oublier. Mais je vois aussi un gros avantage à la carte que propose Ready4Sea pour géolocaliser les experts dont il a besoin.

En course au large, on ne galère pas trop pour trouver nos experts, parce qu’on a un carnet d’adresse énorme. Et en plus beaucoup sont maintenant rassemblés ici à Lorient autour de la Base dans un rayon de 1 km. Mais un plaisancier, lui, n’a pas forcément cette connaissance et l’appli l’aidera certainement à identifier la bonne personne.

Robin nous propose un parallèle entre la course au large et la plaisance

R4S : En course au large, il y a aussi des moyens plus importants. Ou bien est-ce aussi un facteur limitant ?

RS : En fait, dans les grosses équipes, il y a évidemment des gens dont c’est le job, d’aller prévoir et organiser tout ça. En Ultim ou dans les grosses équipes Imoca, c’est le cas. Tandis que d’autres comme certains de nos voisins de ponton débutent : ils n’ont pas encore ce savoir-faire, et ce sont des budgets plus réduits donc ils ont moins les moyens de s’organiser.

Et puis en Mini ou en Class 40, ce sont des plus petits projets. Là ce sont des coureurs qui sont souvent seuls ou avec un ou deux autres personnes. Beaucoup sont en apprentissage, et donc ils bénéficieraient beaucoup d’être organisés avec un outil qui standardise l’approche et qui leur pré-mâche le boulot.

La difficulté principale, dans ces projets là, c’est le budget et les ressources humaines. Il faut bien le répartir entre technologie et compétences. Et si tu te retrouves en sous-effectif, là tu peux te retrouver en difficulté. Du coup, si tu as une équipe réduite, le peu de ressources que tu as doit être ultra-performant. Et pour ça, il faut être bien outillé, et ça va de la bonne perceuse à la bonne organisation. Chaque quart d’heure gagné nous donne de la marge pour la suite du projet.

Il vous manque aussi un outil d’organisation ? Ready4Sea vous propose des checklists, un plan d’entretien et un journal d’entretien. L’appli comprend également une recherche cartographique des experts du nautisme.

L’appli est gratuite, installez-la directement via les plateformes Google et Apple :

R4S : Et comment se fait la traçabilité en course au large ? Pas forcément facile avec les bateaux et les techniciens qui tournent d’équipe en équipe, si ?

RS : Les outils qu’on met en place sont systématiquement sur mesure, c’est-à-dire qu’on les monte ou qu’on les paramètre spécifiquement pour le projet. Et au fur et à mesure de la vie d’un bateau, tout repose sur la mémoire des techniciens, c’est-à-dire de gens comme mes coéquipiers et moi. Parfois on a des photos qu’il faut retrouver, mais sinon c’est dans la tête uniquement !

Ça complique donc les passations lorsque le bateau est revendu. Des fois on se retrouve à avoir des coups de fil 3-4 mois après, avec des questions du type “Et comment vous faisiez pour faire ça ?”

La difficulté de tracer, c’est que ça demande un peu de temps au début. Ce n’est pas au moment de revendre le bateau qu’il faut se réveiller et essayer de rassembler toute la documentation. Elle sera bien meilleure et plus complète si tout est tracé au fur et à mesure. Et donc être assidu dès le début, c’est gagner du temps sur le long terme.

Evidemment, sur un projet court, disons de 6 mois, c’est de l’éphémère et un coureur aura moins tendance à investir du temps dedans. A contrario, sur un projet long, par exemple 4, 5 ou 6 ans, c’est essentiel. Il faut aussi noter que sur des périodes courtes, il arrive souvent que le bateau soit loué et non pas acheté. Et là, c’est le loueur qui pourrait imposer à son locataire d’assurer la traçabilité de l’entretien. En tout cas, il aurait plus intérêt à ça qu’à recevoir des assurances verbales comme quoi la peinture a été refaite 3 semaines avant la fin 😉

R4S : Un grand merci Robin pour ton temps. Merci de nous avoir accueillis à bord. On souhaite évidemment tout le meilleur à Sam Goodchild, aux commandes du trimaran Leyton, ainsi qu’à toute l’équipe qui permet au skipper de prendre le départ de cette course légendaire !

La mâture du trimaran Leyton approche des 25 mètres de hauteur ! Imaginez l’ascension d’un tel espar…

Retrouvez la Leyton Sailing Team ici : https://leyton.com/fr/leyton-sailing-team/